Maghribna, une excuse au pays : Entretien de Wafa Haït

À l'occasion de la future projection du documentaire Maghribna, le 13 Janvier prochain à la Flèche d'Or, Ekram et Shéhérazade nous partagent la présentation de ce quatuor de filles et fils d'immigrés marocains.

DOUBLE IDENTITÉART / CULTURE

Rédigé par Shéhérazade et Ekram

1/12/20245 min read

Le 30 septembre dernier, Shéhérazade et moi avons visionné le documentaire Maghribna. Notre Maroc, réalisé par Wafa Haït et dans lequel figurent Inès, Tassadit et Adem.

Ces quatre filles et fils d’immigrés racontent ensemble leur rapport au Maroc, terre qui est malgré tout la leur.

Je vous conseille par ailleurs de lire la présentation du documentaire de Shéhérazade, afin d’en savoir plus.

J’ai 22 ans et je suis en master Moyen Orient et Méditerranée à Sciences Po Grenoble. Aujourd’hui, je vis entre Paris, Grenoble et bientôt Rabat. Je suis issue de la « seconde génération d’immigrés » en France.

Mes parents sont chleuhs mais ont voyagé dans le pays, je suis donc proche de plusieurs villes comme Agadir, Marrakech, Tiznit ou Casablanca. Néanmoins j’ai toujours eu un attachement particulier à mon amazighité. J’ai eu la chance de grandir dans un beau quartier de Paris. J’avais des codes de vie à la maison et d’autres qui concernaient l’école et mes relations extérieures. A l’image ce cet héritage, j’ai toujours aimé écrire. Écrire pour léguer. J’écrivais pour me souvenir du présent et offrir au futur.

Le visuel m’inspirait partout où je me promenais au Maroc. De la photographie à la musique, la liste est bien trop longue. Rejoindre cet univers était la conjugaison de l’attachement que je portais à l’art et à mon pays.

MAGHRIBNA est donc une excuse visuelle et un message d’amour à ce pays qui ne m’a pas vu grandir mais qui m’a élevé.

Une excuse à un pays qui m’a donné sans que je ne le remercie. Un message d’amour pour nos ancêtres, leur science et leur transmission. Avant de réaliser mon premier court-métrage MAGHRIBNA j’ai simplement écrit l’héritage que je voulais offrir. Les témoignages de Tassa, Ines et Adem ont donné vie à ce processus. Ce sont des histoires distinctes qui se rejoignent dans l’amour de leurs origines. Pour la partie technique, j’ai appris à utiliser ma caméra seulement la veille de mon voyage. C’était un challenge quotidien.

Wafa

Interview

MC : Après la projection, Tassa mentionnait une évolution dans son rapport au Maroc depuis le tournage, en avril. Est-ce que c’est le cas pour tout le monde, et cette évolution prend quelle forme ?

Wafa : Dire non, ce serait inévitablement mentir. Durant et depuis la réalisation de ce documentaire mon rapport à mes origines n’a fait qu’évoluer.

J’ai eu le désir de professionnaliser et scientifiser ce qui était pour moi de l’ordre de l’intime. J’ai lu, observé, questionné sans cesse ce qui me paraissait provenir du consensus social. Plus concrètement, j’ai intégré un master à Sciences Po Grenoble concernant les mutations et les intégrations au Moyen-Orient en Méditerranée afin d’œuvrer au sein de la diplomatie culturelle de mon pays d’origine.

Mon envie d’entretenir un dialogue avec les membres de la diaspora n’a fait que s’accroître. J’espère que les connaissances que je tente d’acquérir me permettront d’édifier un discours et un regard toujours plus juste lors de ces échanges.

MC : Le documentaire parle beaucoup du rapport à la marocanité pour chacun des intervenants, et l’angle pris semble porter sur la transmission, particulièrement familiale.

Est-ce que ton rapport au pays et à ton appartenance se traduit aussi au travers de la communauté, la diaspora ? Par rapport à la non-marocanité de ceux qui t'entourent ?

Wafa : Oui, le Maroc est une terre de partage, le sentiment d’appartenance qui nous y relie s’élèvent naturellement lors des rassemblements. Si mon rapport au Maroc a longtemps été cantonné au foyer familial, aujourd’hui son expression au sein de mon cercle amical et professionnel s’avère être une nécessité.

Le royaume chérifien est une étendue de richesses qui se doit d’être dévoilée et célébrée lors de festivités qui nous réunissent. Je suis marocaine tous les jours, mais je le suis encore davantage en me socialisant avec autrui. C’est par les interactions et les expériences de vie que notre identité s’affirme.

Je sais que je suis marocaine lorsque j’utilise les mêmes expressions qui animent la diaspora, lorsque je déguste avec cette même appétence le dernier Hawaï de mon séjour au Maroc, lorsque les convenances traditionnelles ressurgissent pour savourer le couscous avec trois doigts.

MC : Ces dernières années, nous avons vécu deux événements majeurs : Le parcours de l’équipe marocaine en Coupe du monde qui a été fédérateur et plus récemment c’est un évènement tragique qui a rassemblé la diaspora, à savoir le tremblement de terre du 8 septembre.

Ces moments influent-ils ton rapport au Maroc ? À la diaspora ?

Wafa : Mes parents m’ont énormément transmis sur mon pays et œuvrent toujours pour que nous pratiquions la langue arabe et célébrons la culture du pays, être marocaine, c’était aussi un mode de vie !

Je suis très reconnaissante de l’amour du pays qu’ils m’ont inculqué et des valeurs que je prône aujourd’hui fièrement. Ce documentaire est également un remerciement. Je remercie mes parents et ma grand-mère de m’avoir appris l’importance des traditions et de la mémoire de l’origine qui aujourd’hui s’imposent au cœur de mes réflexions et de mon cheminement personnel et professionnel.

Aujourd’hui, je suis fière de Maghribna, des voix et des visages qu’il emporte avec lui et je remercie toutes les personnes qui m’ont permis de le réaliser, car même si la thématique semble personnelle, le travail est bien pluriel. J’espère qu’il sera le moteur de bien d’autres projets qui nous animent.

Concernant le futur, j’envisage mon avenir au Maroc, au moins le temps d’une reconnexion. Je ne connais pas la durée de ce départ, mais je m’autorise le droit d’apprécier ou non cette aventure. « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe », ces mots de Hassan II résonnent continuellement en moi. Si le Maroc est bien cet arbre alors je suis cette feuille qui tombe en automne tout près de ses racines.

Wafa : Pour être transparente, Maghribna s’est affirmée grâce, en partie, à la performance exceptionnelle des Marocains en coupe du monde.

Lors des célébrations parisiennes, j’ai rencontré Ines Oudadesse, qui a prêté sa voix au projet et avec qui aujourd’hui, je partage tous mes questionnements et espérances concernant l’avenir de notre pays. L’émoi qui a conquis le cœur de chacun lors de cette compétition sportive n’a fait que renforcer le désir de mettre en relief cette ghorba (exil/mal du pays) incomprise.

En parallèle, le drame du 8 septembre a déclenché une avalanche grandiose de solidarité et l’union des Marocains vivant sur le territoire et ceux de l’étranger en faveur des familles sinistrés. Ces deux événements nous ont rassemblés dans la joie comme dans la peine, permettant aux membres de la diaspora de tisser et d’ancrer davantage leur sentiment d’appartenance à ce sol.

MC : Le documentaire est-il un moyen d’assurer la transmission culturelle d’une certaine manière ? Le fait d’être des Marocains de France signifie-t-il que cette transmission se fait/fera avec un degré de marocanité diffèrent que celui qui t'as été inculqué ?

« Par-dessus tout MAGHRIBNA n’est rien sans les personnes qui m’entourent et qui ont permis son existence. Merci à eux. »

Vous pouvez la retrouver sur Instagram : Wafa

Nous avons décidé pour Maison Choukrane de séparer ce quatuor, afin de les entendre chacun sur leur rapport et leur perception propres de leur marocanité.

Rédigé par Ekram et Shéhérazade