Maghribna, ou la fierté d’être marocaine : Entretien avec Inès Oudadesse

À l'occasion de la future projection du documentaire Maghribna, le 13 Janvier prochain à la Flèche d'Or, Ekram et Shéhérazade nous partagent la présentation de ce quatuor de filles et fils d'immigrés marocains.

DOUBLE IDENTITÉART / CULTURE

Rédigé par Shéhérazade et Ekram

1/4/20246 min read

Le 30 septembre dernier, Shéhérazade et moi avons visionné le documentaire Maghribna. Notre Maroc, réalisé par Wafa Haït et dans lequel figurent Inès, Tassadit et Adem.

Ces quatre filles et fils d’immigrés racontent ensemble leur rapport au Maroc, terre qui est malgré tout la leur.

Je vous conseille par ailleurs de lire la présentation du documentaire de Shéhérazade, afin d’en savoir plus.

C’est Inès Oudadesse, 25 ans qui nous confie tout ceci. Elle est marocaine, originaire de Mohammedia par son père et de Casablanca et Taroudant par sa mère. Elle fait partie de la « deuxième génération d’immigrés ».

Ils sont arrivés en France à Clermont-Ferrand pour leurs études à l’université. Inès a ensuite habité à Paris, pour le travail et a aussi vécu à l’étranger pour diverses expériences lors de ses études. Sa plus grande passion est la musique, la jeune femme est pianiste.

Ines

Interview

Maison Choukrane : As-tu ressenti une évolution dans ton rapport au Maroc depuis le tournage du documentaire ?

Ines Oudadesse : Comme je le dis dans le documentaire, mon rapport au Maroc a toujours été un rapport fusionnel et n’a pas tant « évolué » à proprement parler dans le sens où j’ai toujours aimé parler de ce sujet de la double-culture, de la double-identité.

Mes amis savent à quel point passer mes étés en famille au Maroc (le fameux mois au bled) est précieux pour moi. Depuis le tournage, je pense que la seule chose qui aurait évolué serait que j’en parle encore plus qu’avant.

On partage tous les trois, un amour pour le Maroc qui a fleuri de trois manières différentes. Notre expérience à chacun nous est propre alors j’ai d’autant plus l’envie de discuter avec d’autres enfants d’immigrés de différentes diasporas, pas seulement marocaine, pour découvrir encore plus de profils et d’expériences différentes que chacun a à partager !

MC : Est-ce que ton rapport au pays et à ton appartenance se traduit aussi au travers de la diaspora ? Par rapport à la non-marocanité de ceux qui t'entourent ?

I.O. : Mon rapport au pays est totalement renforcé par mes interactions avec la communauté. J’ai la sensation de me sentir proche de ma culture lorsque je la partage avec d’autres membres de la diaspora, que ce soit par le biais de discussions à propos du Maroc qui nous rassemble ou par le partage de références musicales, culturelles, littéraires… C’est une sorte de safe space pour partager ces bouts de culture, qui nous rassure et nous donne matière à échanger.

Un très bon exemple est l’événement organisé par les Arabengers « Raconter le Maroc », où se sont retrouvés plein de Marocains et non-Marocains pour célébrer le pays et sa culture, manger, faire la fête au son de nos artistes marocains préférés et partager un moment fédérateur pour nous. Avoir ce genre d’espaces où se retrouver est réconfortant et solidifie bien sûr les liens qui nous rassemblent et ce sentiment d’appartenance.

Pour ceux qui m’entourent et qui ne sont pas Marocains, j’aime tout autant échanger avec eux et j’adore leur faire découvrir des bouts de mon pays, leur faire écouter des rappeurs marocains, les emmener dans des restos marocains, etc. Rien ne me fait plus plaisir !

MC : Ces dernières années, nous avons vécu deux événements majeurs : Le parcours de l’équipe marocaine en Coupe du monde qui a été fédérateur et plus récemment c’est un évènement tragique qui a rassemblé la diaspora, à savoir le tremblement de terre du 8 septembre.

Ces moments influent-ils ton rapport au Maroc ? À la diaspora ?

I.O. : Ce qui est très drôle, c’est que j’ai justement rencontré Wafa en allant célébrer une victoire de l’équipe du Maroc en Coupe du monde sur les Champs-Elysées !

C’est de là qu’est née notre amitié et quelque part, on peut dire que je n’aurais peut-être jamais participé à ce documentaire sans le parcours du Maroc en Coupe du monde. Plus sérieusement, l’anecdote parle d’elle-même, des événements de cette envergure, qu’ils soient joyeux ou tristes, rassemblent et fédèrent, et naissent de cette implication qu’on a en tant que Marocains fiers de notre pays, de belles rencontres. Une connexion se crée aussi entre Marocains vivant au Maroc et Marocains vivant à l’étranger.

De même pour le séisme du 8 septembre, une solidarité monstre s’est déclenchée dès le début qui a ému tout le peuple, local ou international. On se sent comme ne faisant qu’un, on se rend compte qu’on est tous lié par quelque chose d'intrinsèque et on partage des émotions fortes même avec des gens que l’on ne connaît pas du tout.

J’ai toujours le réflexe de sourire lorsque je vois quelqu’un dans la rue porter le maillot de l’équipe du Maroc, et je vois qu’on a toujours le réflexe de se demander les uns aux autres si nos familles vont bien depuis le tremblement de terre. Je trouve que c’est très solide !

MC : Le documentaire est-il un moyen d’assurer la transmission culturelle d’une certaine manière ?

I.O. : En ce qui concerne la transmission familiale, j’ai eu la chance d’avoir acquis tout ce que je connais du Maroc par le biais de mes parents. Ils ont pu m’emmener au Maroc chaque année, m’apprendre l’arabe, me transmettre la culture du mieux qu’ils pouvaient et je suis reconnaissante d’avoir pu recueillir cet amour du Maroc et cette importance de garder ce lien au pays grâce à eux.

J’espère pouvoir en faire de même avec mes futurs enfants si j’en ai, c’est même une mission que je me donne, presque une inquiétude.

Si l’on parle de la langue par exemple, je ne la maîtrise que dans la mesure où je l’ai apprise « à distance », je n’ai pas l’occasion de la pratiquer au quotidien comme quelqu’un qui aurait grandi au Maroc. J’espère donc réussir à effectuer un travail de transmission culturelle similaire à celui que j’ai reçu pour garder cette mémoire de l’origine et cet amour de sa culture et de son identité que j’estime importants.

Je pense que ce documentaire est un beau moyen de se rappeler que l’on passe tous par ce cheminement, que ce questionnement existe, et un beau message d’espoir pour se dire que l’on gérera cette transmission chacun à notre manière, du mieux que l’on pourra, en se sentant légitime de la porter même si nous sommes nés ailleurs.

MC : Quelle a été ta réaction lorsque tu as pris connaissance du projet ?

I.O. : En réalité, j'ai vu Wafa faire mûrir l’idée du projet au fur et à mesure qu’il s’est dessiné. On parlait déjà de traiter ces thématiques de la mémoire de l’origine et de la double-identité avant que je ne sache à quoi il allait ressembler.

Ces thématiques ont été si importantes dans ma construction, depuis mon enfance, qu’en parler est une évidence pour moi, alors j’ai évidemment tout de suite été emballée à l’idée de ce documentaire et d’y apporter mon témoignage. Même si j’avais l’habitude de m’exprimer sur ces sujets autour de moi, et même d’écrire, j’étais très heureuse à l’idée de voir une expression visuelle structurée et artistique prendre forme pour représenter notre parole.

MC : Maintenant le projet projeté, quel est ton ressenti ? 

I.O. : Je suis toujours extrêmement touchée par les retours des personnes qui ont vu le documentaire, les voir touchées par les thématiques qu’il soulève et les voir se reconnaître dedans est très émouvant. Je suis honorée d’avoir pu y participer et je suis fière d’en voir le résultat. J’espère qu’il résonnera et donnera espoir !

Vous pouvez la retrouver sur Instagram : @inesdds_

Nous avons décidé pour Maison Choukrane de séparer ce quatuor, afin de les entendre chacun sur leur rapport et leur perception propres de leur marocanité.

Rédigé par Ekram et Shéhérazade