Maghribna, à la conquête de légitimité et d’appartenance : Entretien avec Tassadit

À l'occasion de la future projection du documentaire Maghribna, le 13 Janvier prochain à la Flèche d'Or, Ekram et Shéhérazade nous partagent la présentation de ce quatuor de filles et fils d'immigrés marocains.

DOUBLE IDENTITÉART / CULTURE

Rédigé par Shéhérazade et Ekram

1/12/20246 min read

Le 30 septembre dernier, Shéhérazade et moi avons visionné le documentaire Maghribna. Notre Maroc, réalisé par Wafa Haït et dans lequel figurent Inès, Tassadit et Adem.

Ces quatre filles et fils d’immigrés racontent ensemble leur rapport au Maroc, terre qui est malgré tout la leur.

Je vous conseille par ailleurs de lire la présentation du documentaire de Shéhérazade, afin d’en savoir plus.

C’est Tassadit qui se confie. Après un bac +5 en recherche en histoire de l’art, spécialisée dans l’art contemporain des diasporas nord-africaines, elle est maintenant à la fois chargée de communication pour un espace culturel et également journaliste.

Elle est rifya du côté de sa mère et lyonnaise du côté de son père. Sa mère est arrivée en France au début des années 70, mais n’est pas naturalisée.

Ses passions : l’art contemporain, les jeux vidéo, la musique et la cuisine.

Tassadit

Interview

Maison Choukrane : Après la projection, tu mentionnais une évolution dans ton rapport au Maroc depuis le tournage, en avril. Est-ce que c’est le cas pour tout le monde, et cette évolution prend quelle forme ?

TassaditÀ l’époque durant le documentaire, j’envisageais le Maroc comme un plan B, et pendant la projection ce n’était plus du tout le cas. C’était même hyper réducteur de considérer ça comme un plan B. Je suis franco-marocaine, je ne parle pas ma langue maternelle et je ne suis jamais allée au Maroc, mais la (potentielle) transmission de l’expérience de ma mère, son déracinement, et mon sentiment d’illégitimité par le métissage et par le fait de ne pas maîtriser la langue m’ont freinée énormément.

Le racisme et l’islamophobie deviennent invivables en France… Il faut que j'aille au Maroc. Il faut que j’aie l’attache du pays, il faut que je m’y sente bien parce que je n’ai pas d’autres alternatives.

Ma meilleure amie, qui elle est née au Maroc, originaire de la même région que moi, du Rif, m’a proposé qu’on y aille ensemble. Cela a fait son petit bonhomme en chemin, j’ai économisé. J’ai fini par prendre mes billets, il y a quelques jours, pour une semaine à Marrakech. C’est déjà un grand step, et je suis assez contente.

Je regarde moins vers le passé. Je suis moins agrippée aux traumatismes de ma mère et de mes grands-parents. J’appréhende donc un peu moins et j’essaye de dédramatiser à mesure que la date approche.

MC : Est-ce que ton rapport au pays et à ton appartenance se traduit aussi au travers de la diaspora ? Par rapport à la non-marocanité de ceux qui t'entourent ?

Tassadit :  Mon rapport au pays et mon sentiment d’appartenance se sont en grande partie faits récemment grâce à l’entourage et à la dynamique communautaire. J’ai été élevée par ma mère, qui est marocaine. Elle parle le darija, mais elle ne me l’a pas appris. J’ai reçu une éducation très assimilationniste, en raison du traumatisme du racisme et du déracinement j’imagine.

Ma mère avait cette volonté pour elle que je sois plus Française que les Français. Je n’ai donc pas été élevée dans une immense connaissance de mon pays d’origine. On ne m’a pas forcément tout transmis. En revanche, on m’a transmis un fort attachement à l’africanité et au fait d’être amazigh, ça a toujours été là.

Le sentiment d’illégitimité est assez omniprésent malheureusement. J’ai également construit un petit panel de connaissances qui m’ont aidé à me sentir légitime via l’art notamment. J’ai fait des études de recherche en histoire de l’art, spécialisée dans l’art des diasporas maghrébines en France essentiellement dans l’art contemporain. C’est par l’histoire de l’immigration, l’histoire des diasporas, et ses codes parfois paradoxaux, bricolés entre des références françaises, d’immigrés de France, africaines, nord-africaines, amazigh que j’ai réussi à me construire mon petit pot-pourri de savoirs et de connaissances.

C’est en allant en profondeur dans les discussions que j’ai pu me livrer et être aussi un peu plus vulnérable sur des sujets qui m’étaient inconnus ou qui me rendaient triste. Les conséquences sont plus ou moins les mêmes, on apprend ensemble à réparer tout ça.

MC : Ces dernières années, nous avons vécu deux événements majeurs : Le parcours de l’équipe marocaine en Coupe du monde qui a été fédérateur et plus récemment c’est un évènement tragique qui a rassemblé la diaspora, à savoir le tremblement de terre du 8 septembre.

Ces moments influent-ils ton rapport au Maroc ? À la diaspora ?

Tassadit : Oui, il y a des événements extérieurs au cercle familial qui ont impacté mon rapport au Maroc. Je suis originaire du Rif et les manifestations qui avaient eu par le hirak en 2016-2017 m’avaient vachement impactée. L’impact de la santé, sur les terres, mais aussi l’impact social, aujourd’hui constituent l'origine des révoltes dans le Rif. Ce sont des choses que j’ai essayé de suivre, j’ai visionné des documentaires qui ont brodé mon sentiment d’appartenance.

Dans un contexte plus heureux, c’était une folie de vivre la Coupe du monde. Je pense qu’au-delà du fait que ce fût une fierté, je pense qu’en France, - c’est bête ce que je vais dire, c’est le racisme qui pense ça - mais on avait l’impression que c’était enfin classe d’être Marocain. J’ai été nourri à la peur du racisme, c’est quelque chose qui tétanise, c’est quelque chose qui t’empêche de vivre. L’islamophobie, c’est quelque chose qui m’étouffe et qui m’empêche encore plus de vivre que le racisme. C’est sûr que ça crée un élan de solidarité.

Ensuite le séisme, c’est sûr que ça impacte. Clairement aujourd’hui tout n’est pas réparé. Tu es investi par la révolte, par certains engagements, par certaines luttes contre le classicisme notamment au Maroc. Ça nous permet de nous investir idéologiquement dans nos luttes.

MC : Le documentaire est-il un moyen d’assurer la transmission culturelle d’une certaine manière ? Le fait d’être des Marocains de France signifie-t-il que cette transmission se fait/fera avec un degré de marocanité diffèrent que celui qui t'as été inculqué (que ce soit par rapport aux enfants à venir potentiels ou une autre forme de transmission) ?

Tassadit : À la projection, je me suis vue, je me suis entendue dire des choses et j’ai vu le gap entre ce que je disais en avril et ce que je pensais au moment de la projection. Le fait de prendre la parole, de m’entendre dire des choses que j’avais besoin d’entendre m’a aussi beaucoup aidée.

J’ai finalement pris mes billets il y a quelques jours, et c’est encore une autre étape qui a été faite. À voir comment ça se passe là-bas, comment je sens le pays, mais il va falloir que je me prépare psychologiquement. Je ne me laisse pas la possibilité de ne pas être à l’aise ou de ne pas aimer le pays. Le travail d’ici fin novembre (parce que je pars fin novembre) sera de dédramatiser et d’y aller comme si c’était parfaitement normal.

MC : Quelle a été ta réaction lorsque tu as pris connaissance du projet ?

Tassadit : On parle beaucoup plus facilement de nos traumatismes. Créer du dialogue sera beaucoup plus simple, je pense, avec mes enfants, comme ce l’a été entre ma mère et moi, et comme ses parents l’ont fait avec elle et mon oncle. De génération en génération, on arrive à lever des tabous. On arrive plus à parler de soi aussi, parce qu’on n'a pas vécu les mêmes violences que nos ancêtres et que les générations précédentes.

Quand j’étais petite, on me demandait si j’avais des origines, je disais que ma mère était marocaine, je ne disais pas que c’était moi aussi.

MC : Maintenant le projet projeté, quel est ton ressenti ? 

Tassadit : On se suivait avec Wafa depuis un petit moment. J’avais vu qu’elle avait fait une annonce en story. J’étais dans une période de réflexion, j’étais en train de conscientiser le fait que j’ai été victime de racisme.

L’appel à témoigner de Wafa est arrivé à ce moment-là. Je l’ai contactée avec quelques vocaux pour répondre aux questions qu’elle avait. C’est avec la réaction de Wafa, je me suis dit que j’avais dit des choses étranges, que j’avais un rapport mélancolique et incertain à cette époque alors qu’aujourd’hui, j’ai tendance à être assez sûre de ce que je veux et de qui je suis. Ça m’a beaucoup surprise qu’elle ait été touchée par mon témoignage.

Vous pouvez la retrouver sur Instagram : @tassa__dit_

Nous avons décidé pour Maison Choukrane de séparer ce quatuor, afin de les entendre chacun sur leur rapport et leur perception propres de leur marocanité.

Rédigé par Ekram et Shéhérazade

Tassa, au Maroc

Photo par @ansoussou