Sinan, ce franco-marocain à la conquête de ses racines

Sinan explore les routes marocaines, et le partage avec enthousiasme sur ses réseaux sociaux, exprimant ainsi son désir infini de découvrir les multiples facettes de son pays d'origine.

DOUBLE IDENTITÉ

Shéhérazade

3/25/20245 min read

Il sillonne les routes marocaines depuis octobre dernier, armé de son téléphone et de son éloquence naturelle.

Sinan nous fait voyager de Marrakech à Casablanca, en passant par le désert, et il ne compte pas s’arrêter ici, tant il a soif de découvrir autant de recoins marocains que son enthousiasme le lui permettra. Avec un sens du partage déjà typique du pays, il n’hésite pas à nous faire entendre le bruit réconfortant d’ambiances que certains d’entre nous connaissent depuis l’enfance, rythmé de « Sidi Mohamed » lancés par les locaux, sans qu’on ne comprenne pourquoi tout le monde semble porter le même prénom.

S’il a toujours eu l’envie de découvrir le pays dont il est originaire via son père, c’est à la fin de ses études qu’il décide de passer le cap :

« Dès que j’ai fini les études supérieures, je savais que je voulais partir, […] découvrir la vie en me perdant. Mon projet c’était de partir en Amérique Latine, et l’année dernière j’ai fait un mémoire sur la construction identitaire des Français d’origine africaine et le rôle des marques de mode dans cette construction. Et toute l’année ça me faisait penser à moi, en fait ! J’avais des images de moi, je me voyais regarder l’horizon sur une dune de sable, et je me suis dit, mais si je veux me perdre, profiter de la vie, faut aller au Maroc. » 

Si le Maroc est venu comme une évidence, Sinan souhaite aussi découvrir son histoire avec l’Algérie, où une partie de sa famille réside, et en écrire la suite. En attendant, il s’est lancé dans l’aventure marocaine sur les réseaux sociaux :

« L’envie de créer des vidéos est venue d’une envie simple, sans stratégie. Je sentais que ces vidéos-là devaient parler à des gens qui me suivaient, mais pas que parce qu’ils m’aimaient, mais parce qu’ils pouvaient se reconnaître dans cette histoire. Et en effet, une fois que j’ai pris des followers, les vidéos que j’ai publiées avant ont explosées. C'est une histoire qui est très personnelle, quand je parle du fait que je suis ému d’avoir écrit ma première phrase en darija ou du fait que je vais pas réussir à parler avec ma tante. »

Le début de l'aventure

Changer les aprioris

« Quand je parle arabe ça fait encore bien rire, (rires) mais moi, je me sens mieux avec la langue. J’ai toute une année pour m’améliorer, je vais le faire avec autant d’enthousiasme que celui de kiffer ma vie au Maroc. » 

Comme beaucoup de maghrébins de la diaspora souhaitant apprendre leur langue, notre explorateur 2.0 est conscient de la réaction que son accent peut susciter (cf. Episode Radio Choukrane), mais il l’aborde avec humour et sagesse :

« Tu sais qu’on peut se moquer de toi, donc c’est un peu contre-productif. Souvent ça a été une pression, parce que t’as honte de parler, mais j’ai passé le cap. Je me suis dit, tu veux apprendre la langue ? Tu vas aller au Maroc, il y a pas de ‘étape par étape’, tu mets les pieds dans le plat. » Et les locaux le lui rendent bien : « Les Marocains adorent quand on s’intéresse au Maroc. Ma volonté d’apprendre la darija est concrète, elle est réelle, et ils le ressentent. »

« Apprendre sa langue d’origine c’est pas une question de grammaire, c’est une question d’identité. C’est beaucoup plus difficile que d’apprendre une langue à laquelle t’es complètement étranger, parce-que c’est la tienne, celle de ton pays, et t’as l’impression d’être de ce pays mais finalement tu l’es pas. Plus tu la prononces mal, plus t’as l’impression d’être étranger à toi-même, étranger à ton pays d’origine, et quand j’étais assis au Maroc à table et que je pouvais pas parler à ma famille, j'étais comme étranger à ma famille. Étranger à tous les niveaux. »

L'apprentissage du darija

On est loin des clichés, parfois réducteurs, que peuvent véhiculer certains discours. La perception nationale du « blédard » ne tient pas la route dans la démarche qu’il entreprend : « J’ambitionne totalement de retourner les préjugés qu’on a sur l’image du « blédard ».

Déjà, l’image du blédard, qui est-ce qui l’a principalement ? C’est nous, français de la diaspora africaine, en France. Quand tu vas au bled, tu peux rencontrer des blédards, mais maintenant que je vis au Maroc, je peux t’affirmer qu’il faut vraiment être un blédard pour penser que le Maroc c’est le bled. Je n’aime pas ce terme parce qu’il est hyper prétentieux. Il y a aucun mot en « -ard » qui est mélioratif. 

Sur l’approche d’un marocain qui parle français avec un accent, tu peux avoir ce sentiment de ‘ah ouais, il est mignon, il parle avec un accent’ mais faut se rappeler que c’est toi qui est au Maroc, et je sais que là-bas, c’est moi le petit, je parle pas la langue. C’est eux qui ont tout à m’apprendre, et si je peux parler avec eux c’est parce qu’ils parlent français et anglais, c’est moi qui leur suis redevable. C’est pour ça que je m’appelle [Sinan] Le Petit Marocain. »

La suite pour Sinan

Ses envies et ses projets, eux, n’ont pas de date limite, et c’est avec générosité qu’il nous parle de ce que sa présence sur les réseaux sociaux signifie, et ce qu’il compte en faire :

« Là, j’ai un an à vivre au Maroc, un an pendant lequel je vais continuer d’explorer de découvrir pleins de choses sur moi-même, sur le Maroc, sur la double identité, et oui, je vais continuer de les partager parce que ça me passionne. Nous, français, origines ou pas origines, on connaît mal l’Afrique. Il y a tellement de choses à mettre en lumière,  c’est un vivier à exploiter. Mettre en lumière des institutions culturelles, des évènements culturels, et de belles marques. m’intéresser. Les mettre en lumière, notamment par les réseaux sociaux, c’est vertueux. »

La notion de dignité émane de chaque mot prononcé lors de notre entretien. La générosité du peuple marocain, le principe de servir l’autre avant soi-même, ainsi que la fierté et le passage à l’action dont il est témoin au quotidien, décrivent Sinan autant que les personnes qu’il nous présente sur sa page Instagram. Avec un rire assumé, il dit désormais marcher « comme un boss » dans les rues de Paris, quand il vient rendre visite aux siens, grandi par les têtes hautes qu’il rencontre au fil de ses sillages.

Pour suivre Sinan, ça se passe sur Instagram @Sinan_leptitmarocain. Tout le monde est le bienvenu, Marhaba !