Génération complexe, décomplexée

Le chemin est long et sinueux, mais ces dernières années ont marqué une évolution dans l’expression et la représentation des maghrébins. Des stéréotypes dessinant la violence présumée des hommes vus comme arabo-musulmans, et leurs sœurs réduites à des corps désirés mis sous verrou, à désormais une ère qui permet à des créateurs et créatrices de contenu, artistes, et athlètes de se libérer de ces diktats.

DOUBLE IDENTITÉ

Shéhérazade

7/3/20243 min read

On pourrait parler de fossé générationnel, des modèles qui se retrouvent parfois porteurs de voix malgré eux, et qui ressemblent à leur public. Si une communauté s’est vue en Jamel Debbouze à ses débuts, ses petits encensent désormais Just Riadh et la nouvelle version de Malik Bentalha, qui collent plus à ses rires et à ses maux. Les réseaux sociaux permettent de s’exprimer publiquement sans passer par une tribune, ou une censure audiovisuelle, et contre toute attente, les discours les plus populaires naviguent entre humour et conscience politique.

Un des plus gros chocs générationnels qu’ont mis en avant ces canaux d’expression, est l’inquiétude sur les sujets socio-politiques français, et parfois intra-communautaires, comme l’appartenance ethnique et religieuse, au sein d’un pays cosmopolite. Lorsque ces nouveaux médias ont émergé et que leur popularité a permis de faire naître des personnalités publiques, ce sont les abonnés qui ont pu choisir leurs nouveaux modèles, et c’est à travers eux que le paysage médiatique français s’est, lui aussi, diversifié.

Pour autant, alors que les rares célébrités maghrébines qui ont accompagné les générations précédentes faisaient de leurs origines un élément central qu’ils ne pouvaient dissimuler, et qu’ils utilisaient donc comme première approche, les maîtres du divertissement français actuel mettent en avant leurs talents personnels.

Léna Situations en est un exemple parfait. Connue pour son expertise dans le monde de la mode et ses vlogs d’août annuels, plus que pour sa famille algérienne, qu’elle ne dissimule pourtant pas, elle évoque son parcours dans l’acceptation de son nom de famille et de ses cheveux bouclés. Des thématiques qui peuvent toucher les personnes qui s’y reconnaissent. Cependant, elle s’évertue à créer du contenu autour de sa passion.

Et c’est ainsi que des Slimane, Jason Brokerss, Sananas, et autres personnalités sont connues pour leur musique, spectacles, contenu sur le cinéma ou le maquillage, en évitant de se mettre à la place de l’Arabe du domaine choisi.

Une autre catégorie d’artistes musicaux a réussi à construire sa plateforme pour conquérir un public, nord-africain ou non, avec des sonorités pop, hip-hop ou encore R&B, mélangées à de grosses influences traditionnelles, comme Manal, TIF ou Tawsen, célèbrent les couleurs de leurs drapeaux, au Maghreb comme en Europe.

Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette évolution. En premier, l’évolution sociale de la diaspora en France. Elle est désormais composée principalement de personnes nées en France, ou y ayant grandi. Outre les accès aux études supérieures et à tous les corps de métiers facilités, par rapport à nos aînés mais pas forcément à nos camarades et concurrents, la culture et les codes locaux font partie de nous. On a le luxe de choisir quand et comment on se sent français ou maghrébin, ce qui peut être vécu comme une dualité est également une porte vers la légitimité et l’intrépidité.

Aujourd’hui, le mot d’ordre reste la fierté. Se montrer, à travers nos arts, nos noms, nos cheveux, celle d’une société capable d’aimer profondément.

Une génération, fière, forte, qui s’impose, n’en reste pas moins une génération qui peut être perdue dans ses actions, ses devoirs et ses silences. Ces derniers mois, parmi les émotions intenses que la plupart d’entre nous traversent, une vague d’indignité s’est levée contre les personnes médiatiques silencieuses ou jugées trop peu bavardes sur les sujets de la Palestine et des votes récents en France.

Et certains portent ces drapeaux, c’est ce qu’a fait l’Équipe du Maroc de football, en sachant émouvoir et lever les foules lors de la Coupe du Monde 2022 sans jamais compromettre leur identité et fierté nationales. Autant de garants des valeurs que nous sommes nombreux à porter, entre fierté répandue dans nos familles, dignité personnelle et individualité qui pousse à vouloir se construire autour et au-delà d’un héritage culturel.

Perdus entre activisme sincère et collaboration rémunérée pour la nouvelle Eau de Genocide, la Représentation tant attendue fait face à ses propres manquements autant qu’à une forme de rancœur de la part d’une partie de leur public. C’est le signe probable que de nouvelles portes sont en cours d’ouverture, à nous de nous assurer qu’elles mènent vers l’union des minorités ciblées face à une adversité grandissante, et à la repossession de nos identités, diverses, communes et individuelles.

@212stah

@kawtarouh