Au-delà des clichés : Notre présence sur les écrans

La nouvelle vague de créatifs et la multiplication de rôles plus représentatifs de la population française continuent de convaincre des spectateurs jusque-là ignorés. La présence maghrébine sur nos écrans a souvent fait soupirer, mais une nouvelle ère pourrait avoir commencé.

ART / CULTURE

Shéhérazade

11/23/20243 min read

Si la culture populaire change en même temps que le peuple, les médias aussi.

Lorsque la représentation était en charge exclusive des dirigeants de chaînes et des producteurs, les mêmes visages et les mêmes discours s’enchaînaient au bout de nos télécommandes. Bien que cette réalité soit encore palpable, d’autres options sont disponibles, et mises au creux de nos mains. Une bonne partie de la communication et du divertissement d’aujourd’hui se déroule sur, ou depuis, les réseaux sociaux, donnant plus de pouvoir aux têtes d’affiches. À commencer par celui de créer l’affiche, et d’y mettre nos noms.

Plusieurs domaines se popularisent, deviennent plus près de leur audience et plus fidèles à leurs auteurs. Les vidéos et podcasts sont présentés par des créatifs qui ont commencé chez eux, en apprenant à monter, écrire et animer seuls.

Les journalistes sont fréquemment indépendants et spécialisés dans leurs domaines, à l’instar de Siham Assbague et Nesrine Slaoui, qui proposent un travail d’éducation et d’information approfondi et accessible. Les musiciens et les humoristes trouvent bien souvent leur public avant de signer en maison de disques ou avec un producteur. 

Sans cynisme, on peut saluer les efforts fournis, et apprécier les sorties de ces dernières années, mais force est de constater que plus il y a d’intervenants entre une œuvre et son public, plus les teints des artistes mis en avant restent dans le spectre du blanc cassé au beige clair. Les œuvres souvent mises en lumière sont celles créées par l’imaginaire d’un Romain Gavras ou d’un fils d’un ancien président, dont la vision peut être teintée d’un orientalisme banlieusard pour l’un, ou d’une franche stigmatisation des capacités intellectuelles et comiques des hommes maghrébins pour l’autre.

Mais là encore, la génération actuelle, qui n’est pas à réduire à des âges, mais à une ère culturelle, met en place des festivals tels que le Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, et célèbre chaque sortie qu’elle juge digne et positive. C’est aussi une vague d’artistes qui se cherchent, tâtonnent et peuvent allier succès commercial et division d’une communauté qu’ils voulaient pourtant représenter.

C’est en pleine conscience de ses origines et de son genre que Nawell Madani a pris le risque de proposer Jusqu’ici tout va bien, qu’elle imaginait pouvoir mettre en avant les laissés-pour-compte, avant que sa sortie ne fasse polémique parmi le public ciblé. Si la déception et la lassitude peuvent être légitimes pour les Nord-Africains qui ont pu, à nouveau, se sentir stigmatisés, on peut se demander si une série suivant les pertes et les victoires d’une famille de femmes de la diaspora algérienne aurait pu être produite, diffusée et mise en avant comme elle l’a été, sans une intrigue tournant autour du racisme, de la banlieue et de la drogue.

C’est aussi en étant témoins de ces changements, parfois frustrants et fastidieux, que nous pouvons prendre conscience que les générations précédentes étaient des précurseurs qui devaient jouer avec les outils qu’ils avaient. La caricature qui nous fait grincer des dents aujourd’hui, a peut-être fait partie des prémices du chemin désormais parcouru.

Quand les accents passent de Vincent Lagaf à Jamel Debbouze, ils sont toujours dérangeants, mais réappropriés. Ils sont utilisés par quelqu’un qui, même par ses exagérations, montre une autre France sur des plateaux qui ne la connaissent pas, et lui ouvre des portes pour ne jamais les refermer.

Mais le monde du cinéma et de la télévision reste plus restreint. Si une progression est flagrante dans la diversité des programmes, celle qui concerne les rôles de personnes racisées est encore timide. Les personnages violents et de petits caïds sans ambition y sont encore omniprésents, accompagnés désormais des simples d’esprit et des policiers.

Nesrine Slaoui

Reda Kateb et Tahar Rahim - Un prophète (2009)

Affiche film Chouf, réalisé par Karim Dridi

Affiche du festival, édition 2024